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Un type ordinaire qui a envie de raconter des histoires extraordinaires

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16 septembre 2006

Ma relation particulière

Je veux vous faire une confidence.

Je vis une relation particulière avec ma coiffeuse.

Ma femme le sait, elle approuve.

Oui, je vis une relation particulière avec ma coiffeuse. Ça dure depuis quatre ans. Avec un an d’intermède forcé, parce qu’elle m’a quitté pour un autre amour.

Amy, qu’elle s’appelle.

Amy, je l’ai connue par ma femme. Ma femme l’a choisie, parmi cette horde de belles qui foisonnent dans le salon de quartier. Elle l’a choisie entre toutes pour en faire sinon sa confidente, du moins l’unique responsable de sa coiffure, celle contre qui jeter le blâme si un malheur chevelu survenait, comme il finit par arriver un de ces jours de toute façon.

Je n’étais pas moi-même du genre à passer une heure dans les salons de coiffure. Il a fallu que ma femme, elle-même éreintée d’être responsable des quelques accidents de coupe sur ma tête, et que mes rendez-vous trop occasionnels chez le barbier qui finissaient par me forcer à m’atteler à la tâche moi-même, il a fallu donc que ma propre femme prenne les choses en mains. Quiconque a essayé de se tailler la tignasse à travers deux miroirs, le cou cassé, les ciseaux en main gauche du droitier, comprend à quel point, parfois, le ravage peut être important. Ma femme en avait ras-le-bol de me voir me mutiler sans cesse et a décidé de passer aux actes.

Tout juste après l’un de ses propres rendez-vous avec la tailleuse de tifs, ma femme m’a forcé la main et m’a poussé à m’asseoir sur le banc de mon futur bourreau. Elle a joué dur, m'a trahie, s'est jouée de moi jusqu'au bout. Et pour parfaire l'humiliation, elle s'est même moquée de moi devant son public d'habituées.

« Regarde, là! Il s’est fait un trou! » qu’elle lui a dit.

« C’est épouvantable! » a dit la coiffeuse. « Mais je peux quand même arranger ça. »

Et mon orgueil blessé en a pris tout un coup quand elle a fini par me mettre à table, le grand tablier sur les épaules, la paire de ciseaux en mains, pour commencer l’opération chirurgicale.

Le mal était fait. Après deux quarts d’heure, elle a appliqué la pommade, ébouriffé mes cheveux, les a un peu mouillé, puis me retirait le tablier en me tendant le miroir.

« Voilà. On voit encore un peu le trou, mais si tu mets du gel et que tu te décoiffes un peu avec tes mains, comme ça, ça ne paraîtra pas trop. »

Je ne suis pas retourné sur son siège de torture avant deux mois. Pas de gaieté de cœur. J’avais une sainte horreur de ces moments de supplice, de ce long intermède sans paroles, où l’on se sent obligé de parler pour meubler le long silence, avec une étrangère qui ne vous connaît pas et que vous ne connaissez pas. À chaque fois recommencer la même histoire, parce qu’on ne se connaît pas vraiment, parce qu’elle ne vous reconnaît pas forcément, parce que vous ne vous faîtes pas partie de la vie de l’un ou de l’autre de toute façon. Dieu seul sait vraiment à quel point ces moments-là pour moi était un calvaire, moi qui d’entrée de jeu se sens responsable des silences du monde.

Oui, comme je détestais ces moments. À cette époque.

J’ai quand même appris, au fil du temps, que cette coiffeuse était en couple, belle-mère d’un petit gars, qu’elle venait d’aménager dans une nouvelle maison, que son conjoint avait refait les comptoirs de cuisine. La conversation allait bon train, jusqu’au sixième rendez-vous, après plus de 10 mois de fréquentations.

Alors, Amy, enceinte de 6 mois d’un ventre qui ne paraissait pas tellement, m’annonçait qu’il me faudrait choisir une autre parmi la horde de nymphettes. Tout seul. Sans ma femme. Comme un grand garçon.

J’ai balayé l’appréhension du revers de la main jusqu’à la prochaine séance de torture. À chaque jour suffit sa peine.

La prochaine séance fut catastrophique.

Au départ, je devais choisir une autre coiffeuse. Une sensation pire que de se rendre dans un bar et d’amorcer la drague. Je devais choisir la bonne, celle qui saurait me couper les cheveux sans que je lui donne trop d’indications (rasoir numéro 2 ou 3, je ne me rappelle jamais) et avec qui je pourrais continuer ma conversation entamée depuis 8 mois.

Je n’avais pas envie de recommencer mon histoire à chaque rencontre. Il me fallait choisir le bon numéro pour éviter le fardeau des débuts.

Je suis tombé sur Line. C’était ma coiffeuse numéro 2.

Après une séance, j’ai changé d’idée. Elle ne serait pas ma coiffeuse. Elle n’aurait été qu’une amante de passage, délaissé parce que trop fade. Peu de conversation, pas de façon, ennuyante et sèche.

La séance suivante, au lieu de procéder de visu, j’ai opté pour la réservation téléphonique.

La réceptionniste m’a désigné parfait candidat pour Karine. Elle s’imaginait peut-être que j’aimais le type excessivement bavarde, jeune et sans vécu, que je les aimais au berceau de la vocation peut-être? Que je les appréciais très fraîches, alors que je préférais les mûres?

Elle se trompait.

Karine fut tout de même mon élue, probablement par dépit, à deux occasions. Elle n’avait pas ou peu d’expérience avec les hommes, je veux dire avec les coupes d'hommes. Ça se sentait. Elle babillait sa petite vie de famille, son petit frère qui lui tapait sur les nerfs, sa mère qui hésitait à lui fournir le pécule d’un appartement, son père absent depuis toujours. J’essayais de lui raconter mes deux enfants, ma vie de couple, les caprices pécuniaires de ma maison vieillissante, de ma voiture étouffée, de mes bordées de neige. Elle ne comprenait pas, ne pouvait comprendre, elle était trop jeune, un disconnect sévissait, s'amplifiait même, on n’était pas du même type et finalement, il fallait s’y rendre à l’évidence, nous n’étions pas fait pour faire ce bout de chemin ensemble.

Bref, exit Karine, welcome Marie.

Marie fut un bon compromis. Très grande (trop grande), pas trop prolixe, mais juste assez étoffée pour aborder quelques sujets, sinon d’actualités, au moins d’un certain vécu qui commençait tout juste un peu à se faire valoir. Elle était plaisante en conevrsation, par trop bavarde, d'humeur correcte et agréable. Oui, Marie était une bonne alternative et son nom sonnait bien.

J’ai vécu un bon moment sur la chaise de Marie. Presque un an et demi en fait, près de 10 séances. Juste assez pour voir les rénovations majeures du salon sur presque 4 mois, juste assez pour voir naître la construction du 2e étage de ma caisse de quartier. Pour la connaître, pour qu’elle me reconnaisse et se souvienne de nos longs débats et de nos tergiversations anodines. Après cette année et demie, le tour était fait, les silences devenaient plus longs. La dissociation refaisait surface. Je ne saurais dire si c’était de l’ennui, si elle me blasait, mais force est d’admettre que les sujets se tarissaient, soulignés par des vécus somme toute forts différents: elle fréquentait un conjoint beaucoup plus vieux qu’elle; ils n’avaient pas d’enfants, ne souhaitaient en avoir tout de suite; elle était sportive, moi peu; elle d’un style pas très intello, moi j’avais les motoneiges en horreur. Bref, elle était trop grande et moi trop petit, ça ne fittait plus. Une coiffeuse trop grande force le client à s'élever sur une chaise, à perdre pied, à flotter dans les airs, et on se sent gamin. Mais bon, on s'endurait paisiblement, encrassés dans une routine mortelle.

Il y eu cependant un petit regain d’enthousiasme lorsqu’elle m’annonça qu’elle et son conjoint aménageaient dans une nouvelle maison. L’espoir retrouvé de voir naître plusieurs longues conversations de bricolage, d’incommodités de voisinage, de soucis financiers, de ces sujets et de ce vécu qui rapprochaient les êtres qui se retrouvent dans une réalité commune et partagée.

Mais mon regard s’échafaudait toujours autour des autres qui déambulaient tout autour. Je revoyais certians visages qui revenaient occasionnellement aux mêmes séances que moi, saluais toujours poliment Karine, du moins les six premiers mois, jusqu’à ce que le souvenir de moi dans sa tête s’efface à jamais, obnubilée probablement par le va-et-vient des autres clients exigeants qui la forçaient à sans cesse apprendre et s’améliorer.

Mais, à travers le va et vient de la clientèle, j’ai revu un visage familier. Un visage que je connaissais et qui me disait quelque chose de vaguement familier. Elle me saluait d’un sourire, mais je ne savais pas qui elle était. Je ne savais plus. J’ai longtemps cru à une amie du collégial, à une ancienne amie d’enfance, même quelquefois, je me surprenais à imaginer qu’elle était entichée de moi et qu’elle faisait simplement que me lancer un appel de flirt par la tête, malgré mes silences perpétuels. Je n'aimais pas trop, je suis un gars timide, forcément, négliger l'apparence de ces cheveux par peur de se retreouver dans un salon de coiffure en dit long sur le poids qu'a le regard des autres sur soi.

La familiarité dura longtemps, au moins plus de trois séances en trois mois (l’hiver me fait pousser les cheveux avec plus de vigueur, allez savoir pourquoi!), mais rien ne laissait transparaître ce qui allait arriver.

Jusqu’au jour où elle est venu me saluer directement.

« Comment ça va, Patrick? »

La fille était devant le miroir, dans mon dos, et me faisait face en souriant.

Je pensais qu’elle parlait à sa collègue. Mais quand j’ai vu que mon bourreau n’était pas dans les parages, j’ai compris que son salut ne s’adressait qu’à moi.

C’est alors que je l’ai reconnue.

« Amy! Comment ça va, toi?! »

Je m’étais étouffé. J’avais honte de ne pas l’avoir reconnue avant. Comment diable ne l’avais-je pas reconnue avant?

Je me sentais mal, comme si je venais d’être pris en flagrant délit d’adultère. Comme si, en ayant poursuivie les visites intimes auprès d’une autre qu’elle, devant elle, sous ses yeux, je l’avais trompée, elle qui pourtant m’avait été si fidèle.

Je n’ai rien trouvé de mieux à lui dire que ça :

« Je ne t’avais pas reconnue! Tu es revenue depuis peu? Je ne t’avais pas vue! » Le mensonge était forcé, elle le comprenait, mais bon, j’avais déjà joué l’eunuque dans le passé avec elle, je ne tenais pas à ce que mon image, préservée depuis toutes ces fréquentations au salon, finissent par se ternir.

« Oui, ça fait quelques mois déjà. Ma petite fille a presque un an et j’ai fini mon congé de maternité. »

Entre-temps, Marie était revenue à son poste avec le rasoir qu’elle venait de remplacer, l’autre défectueux traînant dans son tiroir.

« Ah! Bon! Eh bien, à la prochaine! »

La prochaine séance, j’ai pris rendez-vous par téléphone.

Après le levage des cheveux et le massage de tête au lavabo par les mains des novices nubiles, je me suis approché de la chaise d’Amy.

« Je m’excuse de t’avoir trompée avec Marie. Je rentre au bercail. Je ne te quitterai plus jamais.»

Je vis une relation particulière avec ma coiffeuse. Elle me coupe les cheveux, nous parlons, nous meublons le temps autrement rempli d'un long silence des trente minutes que dure ma coupe de cheveux. Ça dure depuis 4 ans. Avec un an d’intermède forcé, parce qu’elle m’a quitté pour un autre amour, son deuxième enfant.

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