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18 octobre 2006

Le train-train quotidien

Je prends le train pour aller au boulot environ 3 à 4 fois par semaine.

Ça implique environ 1 heure de voyagement soir et matin, depuis la banlieue jusqu’au dernier arrêt de la ligne, avec débarquement en plein cœur de la grande ville. Et vice-versa.

Depuis trois semaines, mon horaire de travail est devenu assez imposant. En fait, il a toujours été assez imposant. Depuis 4 ans et demi, en fait. Depuis que j’ai changé de job pour une belle tour à bureau au centre-ville.

Pour certains vieux de la vieille, vous connaissez l’histoire mieux que moi, sans doute pour l’avoir vécue à maintes reprises. Changement d’employeur pour aller au plus offrant; des défis plus stimulants et mieux adaptés à votre niveau de carrière; un meilleur salaire; meilleurs avantages et meilleures perspectives.

Après 1 ou 2 ans de travail acharné où vous vous dépassez, dans la mesure du possible et de votre définition personnelle de l’équilibre travail-famille, vous vous surpassez même dans certaines obligations.

Le travail devient un mode de vie. Plus encore, il devient essentiel.

Certains matins, même, vous vous surprenez d’avoir hâte de rentrer travailler. Pas tant que votre vie personnelle vous embête. Non, seulement parce que la routine est confortable. Qu’elle laisse des traces en vous. Que votre job est rassurant. En dépit de tous ses inconvénient.

Après 2 ans, c’est la 3e année qui s’amorce. Souvent, de nouveaux défis. De nouveaux objectifs, de nouvelles tâches et surtâches. Habituellement, l’employeur et les collègues vous font beaucoup moins de cadeaux et n’ont plus tendance à excuser vos erreurs ou vos inaptitudes par un manque d’expérience. Habituellement, la démotivation se cache moins facilement sous vos airs de jeunesse professionnelle.

En fait, on devient sans pitié avec vous.

Et vous, vous devenez sans pitié pour l’employeur. Parce que vous voulez garder votre routine telle quelle, sans dérangement. Ou alors, parce que vous en avez assez de courir à gauche et à droite, de faire vos preuves, de montrer ce que vous savez faire. Vous aimeriez presque être à l’étape où vous aimeriez que les autres vous montrent eux de quoi ils sont capables. Et de vous accomplir à un autre niveau.

Fin de la lune de miel, donc.

C’est le début des contraintes et des critiques. D’un côté comme de l’autre. On commence à imposer nos vues et nos limites. Terminé le dépassement des objectifs, les preuves à faire, les quatre volontés exaucées. Vous êtes épuisé, vous en avez assez. Le burn-out est proche, alors vous le repoussez en même temps que les contraintes qu’on essaie de vous faire avaler avec des phrases sirupeuses comme le manque de budget, la pénurie des ressources, les objectifs prioritaires. Vous en avez assez mangé de ce pain-là. Vous n’êtes pas dupe vous non plus.

Alors, rentrer au boulot le matin devient un peu plus forçant.

Et quitter le soir plus hâtif.

À moins de se faire fouetter un peu. Et ça aussi, ça arrive. Pas plus tard qu’hier, je l’ai appris à mes dépends. En entreprise privée, il existe une règle d’or, non dite, officieuse: on ne doit jamais se plaindre d’un surplus de travail, d’un manque de temps ou de ressources.

En fait, on nous fait comprendre que tout le monde le sait de toute façon, que ça ne sert à rien d’en rajouter.

Alors, si vous êtes comme moi, vous cachez de plus belle la démotivation sous un voile opaque de problèmes de priorités et de gestion du temps. Il y a certes du vrai dans vos excuses. Mais il y a aussi peut-être un fond de paresse plus que d’abnégation. Je pense qu’il y a une forte dose de découragement devant une montagne d'objectifs irréductibles qui n’en finiront plus de s’accumuler. Mais que faire devant ce mur imprenable de tâches qui vous submerge jour après jour? Vous allez vers l’épuisement professionnel et, en entreprise, il n’y a pas pire maladie que l’épuisement professionnel qui laisse des traces indélébiles sur votre CV.

Vous vous dites que vous êtes peut-être dû pour passer à autre chose? Que vous devriez sauver votre peau avant que le travail ne vous submerge et ne vous noie?

Vous essayez de raisonner en vous disant qu’à force de changer d’employeur, votre CV finira par devenir une allée de supermarché. La stabilité est l’une des plus belles qualités d’un employé. Vous aimeriez qu’elle démontre non pas d’un manque d’ambition ou d’innovation, de votre désir une zone de confort durable, et de votre préférence pour la routine, mais plutôt d’une loyauté à toute épreuve, d’un sens de l’engagement. Bien sûr, l’employeur n’est pas dupe: il sit voir els signes. Mais il n'en fera rien et n'en dira rien. Car lui sera très enthousiaste devant votre routine établie, devant votre manque flagrant d’ambition qui vous cloue sur le même siège depuis des années: en vérité, malgré les belles éloges de dévouement qu’il vous servira de temps à autre, il se réjouira d’avoir moins souvent recours aux très dispendieuses agences de recherche de cadres et d’être moins démuni face aux problèmes d’effectifs réduits.

Faire plus avec moins est le moto des nouveaux modes de gestion qui prônent l'autonomie, l'abolissement des cadres intermédiaires et la responsabilisation des employés (sans pour autant leur attribuer le salaire qui leur revient, tout se fait en douce). Et du côté pratique, on sent la chandelle qui brûle par les deux bouts.

L’autre issue pour se sortir de l'impasse de la surcharge est de gravir les échelons ou la promotion latérale. Bon, vous mettrez par le fait même votre patron dans l'eau chaude, mais ce sera de bonne guerre. Mais si ces avenues ne résolvaient pas le problème de la surcharge qui vous guette? Si l'herbe n'est pas plus verte dans la cour du voisin, elle ne l'est souvent pas non plus à l'étage supérieur.

Quoiqu'il en soit, il y a toujours pire. Il y a aussi l’issue ultime.

L’issue ultime, en entreprise, c’est comme celle qu’a vécue cet homme que je ne vois plus depuis peu dans le train.

Depuis 3 ans, je croisais son visage. Jusqu’à l’an dernier, on contentait de se croiser du regard. Jusqu’à ce qu’une vieille dame, elle aussi habituée du train, nous présente et qu’on entame une conversation sinon quotidienne au moins hebdomadaire.

La semaine dernière et l’autre semaine d’avant, je n’ai pas pris le train. Mais je m’attendais à le voir ce matin, premier jour depuis 2 longues semaines de déplacement en auto-bazou.

Eh bien, ce matin, l’homme n’était plus là.

C'est la vieille dame dans le train qui m’a annoncé la nouvelle. Il vient de se faire flusher par son employeur. Il a arrêté de prendre le train vendredi dernier.

Ça m’a scié les jambes d’un coup.

Alors j’ai pris le train ce matin et je me suis dit que j’allais continuer à bosser sans trop me plaindre. Je garderai pour plus tard mes réserves de plaintes et de rancoeurs. J’en aurai bien besoin, quand, plus tard, on m’annoncera à moi aussi la terrible nouvelle.

Bref, je fais comme tous mes bons petits camarades de train qui se rendent au boulot le matin et qui retournent chez eux le soir venu.

Bref, je ferme ma gueule, j’encaisse et j’accepte d’écouter les inepties qu’on nous galvaude à la radio, dans les corridors, dans les familles : on est dont chanceux d’avoir un boulot.

Moi, je dis que le boulot est chanceux de nous avoir.

Sans nous, les entreprises privées crèveraient.

Et les actionnaires mangeraient du beurre d’arachides le matin au petit déjeuner et des sardines au souper.

Et les grands patrons prendraient eux aussi le train de banlieue avec nous au lieu de brûler les feux rouges avec leur Mercedès de l’année.

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